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LE COLLIER DE SOIE

V. LA NUIT HORS DU ROYAUME

         Quelques mois s’étaient écoulés depuis la signature du contrat, et l’appartement parisien d’Alice s’était transformé en un théâtre où chaque recoin résonnait de son autorité. Ce soir-là, elle rentra plus tôt que d’habitude, posa son sac à main Schiaparelli sur la console de l’entrée. Une journée de réunions avec des galeristes et un riche client indécis l’avait laissée tendue, mais une soirée en boîte avec des amis – des âmes légères qu’elle tolérait pour leur conversation amusante – promettait de dissiper son humeur. Nicolas, affairé à récurer les plinthes du salon avec une brosse minuscule, se redressa dès qu’il entendit ses talons claquer sur le parquet.

 

 

         Elle traversa la pièce sans un mot, jetant son manteau sur le canapé – un signal implicite qu’il ramassa immédiatement pour le suspendre. « Suis-moi, » lança-t-elle en montant vers la chambre, sa voix tranchante masquant à peine son impatience. Nicolas la suivit, tête baissée, jusqu’à la pièce où un grand miroir ovale réfléchissait l’élégance froide d’Alice. Elle se posta devant sa garde-robe, un dressing attenant rempli de robes, de sacs et d’une impressionnante collection de chaussures, et claqua des doigts. « Aide-moi à choisir. »

 

 

         Il s’approcha, ouvrant les portes coulissantes pour révéler une robe courte en sequins noirs Rabanne, une autre en satin rouge, et une troisième – celle qu’elle finit par désigner d’un hochement de tête – en cuir moulant, audacieuse et parfaite pour la nuit qui l’attendait. Nicolas la décrocha avec soin, puis s’agenouilla pour l’aider à enfiler ses escarpins : des stilettos noirs à bouts pointus, dont il avait poli les semelles la veille avec sa langue, comme le contrat l’exigeait. Elle se contempla dans le miroir, ajustant ses cheveux avec une satisfaction évidente, puis se tourna vers lui, un sourire narquois aux lèvres.

 

 

         « Debout, » ordonna-t-elle. Il se redressa, et elle s’approcha, ses doigts effleurant la cage de chasteté qu’il portait sous son pantalon. Elle tira légèrement sur la clé pendue à son cou, vérifiant le cadenas avec une attention théâtrale. « Toujours bien en place, hein ? » murmura-t-elle, sa voix dégoulinante de moquerie. « Ça doit être dur, non ? Moi qui vais danser, rire, pendant que toi… » Elle laissa la phrase en suspens, riant doucement, avant de poser un doigt sous son menton pour le forcer à la regarder. « Pathétique. Mais c’est ce que tu es, maintenant. Mon petit toutou enfermé. »

 

 

         Nicolas rougit, mais resta silencieux, ses joues brûlant sous l’humiliation qu’elle savait si bien distiller. Elle recula, satisfaite, et désigna le dressing d’un geste désinvolte. « Ce soir, tu as du travail. Toutes mes chaussures – et il y en a combien, trente paires ? quarante ? – doivent être impeccables pour demain. Tu connais les règles : cirage sur ta langue pour les bottes et bottines, léchage des semelles intérieures et extérieures jusqu’à ce qu’il ne reste pas une trace. Pas une seule. » Elle marqua une pause, un éclat cruel dans les yeux. « Et tu feras ça là-dedans. »

 

         Elle le poussa vers le dressing, une pièce étroite mais luxueuse, tapissée de rangées de chaussures impeccablement alignées – escarpins, cuissardes, sandales, chaque paire un trophée de son goût raffiné. « À l’intérieur, » ordonna-t-elle. Il entra, et elle attrapa une fine chaîne en métal qu’elle gardait dans un tiroir, l’utilisant pour verrouiller la porte coulissante à une poignée extérieure, l’enfermant dans cet espace confiné. « Tu restes là toute la nuit, » dit-elle à travers la cloison, sa voix étouffée mais tranchante. « Si je trouve une seule marque demain, tu dormiras dans la cave une semaine. Travaille bien, mon petit esclave chaussure. »

 

         Elle s’éloigna, attrapant une pochette en cuir verni et vaporisant une touche de parfum – un mélange de patchouli et de bois de cèdre. Dans le miroir, elle vérifia une dernière fois sa silhouette, ajustant la robe qui épousait ses courbes comme une seconde peau. Puis, sans un regard pour le dressing où Nicolas était déjà à genoux, une botte en cuir serrée contre sa poitrine et sa langue appliquant le cirage avec une dévotion muette, elle traversa l’appartement. Ses talons claquèrent une dernière fois sur le parquet, la porte d’entrée se referma derrière elle, et le silence retomba, laissant Nicolas seul dans son royaume d’ombres et de cuir, prisonnier d’une nuit qui ne lui appartenait plus.