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LE COLLIER DE SOIE

VIII. LES OMBRES DE LA TOSCANE

         Quelques mois plus tard, Alice décida qu’il était temps de s’offrir une échappée. Pas pour se reposer – elle n’était jamais vraiment fatiguée –, mais pour changer de toile de fond à son œuvre d’art vivante. Elle choisit la Toscane, une villa perchée sur une colline près de Sienne, entourée de cyprès et de vignes baignées de soleil. Le voyage fut organisé à sa manière : elle dicta chaque détail, du choix des valises en cuir monogrammé à la playlist qui bercerait les routes sinueuses en Alfa Romeo 8C louée pour l’occasion. Nicolas, bien sûr, ne toucha pas le volant. Il était là pour porter, servir, obéir.

 

         La villa était un bijou d’architecture, avec ses murs ocre et ses volets verts, une piscine à débordement plongeant vers l’horizon. Alice s’installa dès leur arrivée sur une chaise longue en osier, ses lunettes de soleil sur le nez, arborant un sourire satisfait en regardant Nicolas déballer ses affaires. « Pose mes sandales près de la piscine, » ordonna-t-elle sans lever les yeux de son roman. Nicolas s’exécuta, alignant les lanières dorées avec une précision maniaque, sachant qu’un millimètre de travers lui vaudrait un reproche cinglant.

 

         Les jours suivants s’écoulèrent dans une routine qu’Alice avait peaufinée pour ces vacances. Chaque matin, Nicolas devait se lever avant l’aube pour préparer son café – un espresso serré, servi dans une tasse en porcelaine qu’elle avait insisté pour emporter de Paris. Il le déposait sur une petite table en fer forgé près de son lit, puis s’agenouillait au pied de celui-ci, attendant qu’elle daigne ouvrir les yeux. Parfois, elle le faisait attendre une heure, feignant un sommeil qu’elle n’avait pas, juste pour voir ses muscles trembler sous l’effort de l’immobilité. Elle le renvoyait alors préparer un nouveau café chaud.

 

         Un après-midi, alors que le soleil tapait fort et que les cigales chantaient leur hymne entêtant, Alice décida de pousser le jeu plus loin. Elle enfila un maillot une pièce noir, aussi chic que provocant, et s’allongea au bord de la piscine. Nicolas, torse nu et déjà rougi par la chaleur, reçut l’ordre de lui appliquer de la crème solaire. « Pas une goutte sur mes cheveux ni le tissu du maillot » prévint-elle, un sourcil levé. Il s’appliqua, les mains tremblantes sous le poids de son regard scrutateur, tandis qu’elle sirotait un verre d’eau glacée parsemée de tranches de citron. Quand il eut fini, elle désigna du menton un seau d’eau près de la terrasse. « Rince-toi les mains là-dedans, et ensuite, tu resteras à l’ombre sous l’olivier jusqu’à ce que je te dise de bouger. Je ne veux pas de toi dans mon champ de vision pendant que je nage. »

         

         Nicolas obéit, s’éloignant comme une ombre docile pour s’asseoir sous l’arbre noueux, la cage qu’il portait sous son short de lin lui rappelant à chaque pas le contrôle absolu d’Alice. De là, il la vit plonger dans l’eau avec une grâce féline, éclaboussant à peine la surface. Elle nagea longtemps, puis sortit, ruisselante, pour s’étendre à nouveau, laissant l’eau sécher sur sa peau sans un mot pour lui. Ce n’est qu’au crépuscule, alors que le ciel s’embrasait de rose et d’orange, qu’elle claqua des doigts depuis la terrasse où elle dégustait une assiette de burrata et d’huile d’olive locale. Il accourut, se prosternant à ses pieds nus encore humides. « Tu as été sage, » dit-elle, presque surprise. « Ce soir, tu pourras dormir dans la chambre d’amis, pas dans le couloir. Mais d’abord, va me chercher mes mules. »

 

         Plus tard, lors d’une sortie dans un village voisin, Alice brilla dans une robe blanche légère, attirant les regards des locaux et des touristes. Nicolas, lui, portait un sac rempli de ses emplettes – des céramiques artisanales, un flacon de parfum à la fleur d’oranger, une étole en soie qu’elle ne mettrait sans doute jamais. Lorsqu’un serveur un peu trop empressé tenta de flirter avec elle devant une gelateria, Alice lui offrit un sourire éclatant avant de se tourner vers Nicolas. « Mon chien de garde est jaloux, » lança-t-elle en riant, tapotant la tête de Nicolas comme on caresse un animal. Le serveur s’éloigna, gêné, tandis que Nicolas rougissait, partagé entre l’humiliation et une étrange fierté.

 

         Ces vacances en Italie n’étaient pas une pause pour Alice, mais une nouvelle scène pour son théâtre. Sous le soleil toscan, elle tissait son emprise avec autant de soin qu’un artisan local tressait un panier d’osier – méthodiquement, patiemment, jusqu’à ce que chaque fibre de Nicolas soit irrévocablement à elle.